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Troisième rendez-vous de notre cycle de rencontres littéraires
Cette soirée est généreusement soutenue par
« Enfance, mon amour, n’était-ce que cela?… » Eloges, Chant V
Au seuil de l’édition de ses Œuvres complètes parues dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1972, Saint-John Perse rédige lui-même sa biographie et fait belle place à son enfance: « 1887, 31 Mai: naissance à la Guadeloupe de Marie-René Alexis Saint-Leger Leger, seul garçon d’une famille de cinq enfants. (…) L’enfance se passe d’abord à la Pointe-à-Pitre, puis à Saint-Leger-les-Feuilles », îlet dont il a été précisé que c’est le lieu exact de sa venue au monde, « île de plaisance de moins de trois hectares appartenant alors à la famille paternelle du poète », l’enfant y grandit « en compagnie d’un grand chien de sauvetage et de bêtes rares importées de Guyane, et sur les deux plantations de la famille maternelle: « l’Habitation » La Joséphine (caféière), sur le versant ouest de l’île, au pied du volcan La Soufrière, et « L’Habitation » Le Bois-Debout (exploitation sucrière) sur le versant est, face aux îles des Saintes et de Marie-Galante.
Enfance entourée de serviteurs et travailleurs de différentes races, d’origine caraïbe, africaine ou asiatique (Malabarais, Chinois, Annamites et Japonais). » On peut lire un peu plus loin « Formé très tôt à l’équitation et à la vie sur mer, l’enfant s’éprend aussi d’histoire naturelle en compagnie d’un savant botaniste reçu dans sa famille, le R.P Antoine Duss. » Suivent les dates de mort des deux grands-pères qui donnent élan à des explorations généalogiques. L’année 1895 se renseigne ainsi « Mort, sur la « Plantation » La Joséphine, d’une très jeune sœur du poète (souvenir évoqué dans une page d’Éloges). Reçoit, à huit ans, son premier cheval, sa première barque, et sa première lunette astronomique ». Il est encore fait état du « grand tremblement de terre de 1897. Crise économique dans l’île et nombreuses ruines de familles« .
Puis le long paragraphe consacré à 1899 commence en ces termes « Départ définitif de toute la famille pour la France, après plus de deux siècles d’établissement aux Iles. » S’évoquent l’arrivée à Pau, les premiers liens littéraires et la « rencontre de tout un monde d’exil et de légende » détaillé à plaisir. 1902 est marqué par « L’éruption de la montagne Pelée et destruction de Saint-Pierre de la Martinique. Deuil à Pau chez les Leger en raison de vielles alliances de famille entre Martinique et Guadeloupe. » Il est immédiatement enchaîné; « 1904-1905 Premières années d’études à Bordeaux. Saint-Leger Leger écrit là Images à Crusoé (1904), qui sera publié en 1909 à la Nouvelle Revue française. » La suite peint avec précision un étudiant en droit passionné aux intérêts éclectiques et dit son « amitié de Gabriel Frizeau, ami de Jammes et de Claudel, chez qui il découvre Gauguin, dans sa plus large toile des Marquises (D’où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous?) »
Plus loin se lit « 1907 Mort subite, à Pau, du père. Devenu chef de famille, Saint-Leger Leger interrompt ses études à Bordeaux pour se consacrer aux siens, parmi de graves soucis matériels. Villégiaturant avec sa mère et ses sœurs dans les Pyrénées (vallée d’Ossau), il y écrit les premiers poèmes d’Éloges, qui seront publiés en 1911 à la Nouvelle Revue française. »
1908 s’endeuille à nouveau: « mort à Pau de sa grand-mère paternelle, née Augusta Caille, qui avait été admirée jeune fille par Lamartine et lui gardait toute sa ferveur ». S’explore alors l’ascendance paternelle. 1909 fait état d’« activité littéraire et crise philosophique. Œuvres détruites. Approfondit l’étude de Spinoza et de Hegel en plein bergsonisme ». S’énonce sa passion pour l’ethnologie, l’anthropologie et la musique, la suite des années de jeunesse mêle les relations et « voyages d’études pour le choix d’une carrière » se décidant finalement « à affronter la carrière diplomatique, en dépit de son manque de fortune », et les rencontres et amitiés artistiques et littéraires.
Laissons-là cette autobiographie fascinante, elle offre carénage et berceau de lecture à ce premier recueil en forme d’archipel, composé de quatre ensembles poétiques d’ampleur et de présentation différentes où se modulent souffle et rythme en vers libres, et dont les titres livrent portée, donnent la note; « Ecrit sur la porte« , « Images à Crusoé », « Pour fêter une enfance » et « Éloges« . Ne reprenons pour le plaisir que cette mention qui inaugure la rubrique 1911 « publication du petit volume d’Éloges, édité par les soins d’André Gide aux premières éditions de la N.R.F. Premier article de critique signé Valery Larbaud, dans La Phalange de Jean Royère. » Par ce premier recueil se marque et se remarque l’entrée du jeune poète dans le monde des lettres de manière active et innovante, se dévoile et prend voix une sensibilité « au monde entier des choses », « ce double anneau de l’œil et l’aisance d’aimer » et déjà il s’entend cette poésie telle que la rêve le Discours de Stockholm prononcé en 1960 lors de l’allocution au banquet Nobel « La poésie moderne s’engage dans une entreprise dont la poursuite intéresse la pleine intégration de l’homme. (…) Elle s’allie, dans ses voies la beauté, suprême alliance, mais n’en fait point sa fin ni sa seule pâture. Se refusant à dissocier l’art de la vie, ni de l’amour la connaissance, elle est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L’amour est son foyer, l’insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l’anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus. »
Isabelle Fournier