Cette soirée est généreusement soutenue par
« Ainsi parla le devin marquis »
spectacle mis en scène et interprété par Isabelle Fournier
Dimanche 18 juin à 18h00
Pour Julie Boch que les Lumières à raison enflammèrent de passion et qui en attisa splendidement les flambeaux si précieux
AINSI PARLA LE DEVIN MARQUIS
Le le 2 Février 1747, Antoine-René de Voyer, marquis de Paulmy puis troisième marquis d’Argenson prononça lors de sa réception dans l’Académie royale des inscriptions et belles lettres de Berlin le «Discours sur la nécessité d’admettre des étrangers dans les sociétés littéraires».
Ainsi parla le devin marquis, et l’on pourrait ne rien ajouter, tabler sur le pouvoir de cet ensemble à se présenter seul en trois temps : introduction donnée à son ouvrage par le marquis lui-même, lecture du texte proprement dit, puis réponse de Maupertuis. On pourrait ne pas en dire plus long, accueillant seulement au seuil de l’été qui aura poussé porte à recevoir offrande. Il suffirait d’inviter chacun des auditeurs si nécessaire et si précieux dans sa singularité propre à la prononciation de ce discours, plutôt qu’à rassembler toute sa géométrie, à se laisser tenter, et c’est bien le désir, ce désir sans lequel nous ne sommes rien à ce qu’écrivit plus tard un autre marquis plus fameux, qui vous conduira jusqu’ici !
Alors laissez-vous surprendre !
Laissez-vous approcher, laissez-vous gagner, laissez-vous cueillir par cette lecture puisqu’une racine latine réunit les deux mots ; laissez-vous jardiner par la logique et la rigueur impeccables de cette pensée et laissez-vous charmer par son extrême élégance à se faire légère par la profonde beauté du style, éminemment mesuré comme il peut s’attendre d’un esprit instruit pendant ses humanités de la fréquentation des grands orateurs, mais aussi rythmé et cadencé, se partageant à main gauche et main droite, se renversant en demi-voltes, progressant à pas de côté ou s’emportant en airs relevés, se pliant au reculer devant l’objection, jouant de ses allures, allant l’amble parfois, culminant en piaffer !
Cet ordre et cette mesure, ce sont les clefs mathématiques qui chiffrent en partition le sable du manège et font du carrousel une musique pour l’œil, mais à cette base solide et harmonieuse que compose l’écuyer rompu à la science et la pratique de la carrière s’ajoutent, par la langue et sa matière sonore, la volupté de la monture, le frémissement de l’encolure, le lustre de la robe, les délices et l’ivresse de ce temple en mouvement, les inépuisables et infinies particularités du concret qui font cette richesse du sensible à laquelle il est demandé droit de cité par le « Discours sur la nécessité d’admettre des étrangers dans les sociétés littéraires ». Et nous sommes conquis par la sensualité d’une voix qui se fait « poète même en prose », suivant l’injonction secrète confiée à des « Notes précieuses » plus d’un siècle après par Baudelaire.
Du préambule, par lequel le marquis remarque son entrée, cet accueil par l’Académie qui donne circonstances de prononciation à ce discours « composé bien avant » et qui tient lieu de captatio benevolentiae, au discours déjà formé et déposé sur le papier, la voix se module. Il sera délicieux d’en épier l’inflexion.
La réponse de Maupertuis tend miroir et donne portrait de l’orateur en le replaçant dans sa prestigieuse lignée, mais plus encore en l’assimilant à son texte suivant le jeu métaphorique ébauché dans le préambule, interrogeant de ce même sourire de bonne humeur et de pensée en fête, cette notion d’étrangeté, et accueillant dans l’enthousiasme cet essai de philosophie politique qui au cœur d’un siècle de guerre continue et menée en dentelles cherche « nœud commun de l’union des Nations » dans la composition des particularités et des différences, dans l’auscultation et la mise en dialogue des « variétés », et prône l’appétit sans limites de l’autre, l’ouverture scientifique à l’autre pressenti, par son irréductible différence, comme un principe d’enrichissement de tout l’être et par extension, de toute la nation. À l’impérialisme des guerres de succession auquel le marquis ne fait pas même référence, il est opposé, non, proposé le « progrès que l’esprit et les lettres ont fait [en Europe] depuis quelque tems ».
C’est un texte conquérant, jaillissant de fougue, d’espoir et de bonheur à penser. Il porte empreinte de son temps, se reconnaît l’accent de Montesquieu, mais espiègle et puissant paradoxe, ce texte qui revendique l’importance des circonstances et leur influence déterminante à modeler ou faire recevoir la chose, bondit et s’envole en pirouette équestre hors de son contexte premier et n’en finit pas de nous ouvrir les yeux.
Laissons les trois derniers mots de cette page à Cicéron, dont se mesure l’influence au rythme ternaire que vous allez entendre à nombreuses reprises, « Cedant arma togae ».
Isabelle FOURNIER